Transport corporel





Hymne aux fleurs qui passent v.1
Legend Lin Dance Theatre





Le Sang des Etoiles 
chorégraphie : Thierry Malandain - musique : Malher, Strauss, Waldteufel, Minkus - décor et costumes : Jorge Gallardo - conception lumière : Jean-Claude Asquié - Malandain Ballet Biarritz - 2004


La Vie d'Adèle ou l'irruption de la poétique dans la représentation de la trivialité


            Son scénario étant issu de la BD de Julie Maroh, le Bleu est une couleur chaude, la Vie d’Adèle s’annonçait irrémédiablement sous l’influence de la couleur bleu. Il est important de rappeler pour commencer les deux connotations antagonistes dont cette couleur est porteuse. Dans un  premier temps c'est une couleur onirique et spirituelle. En effet, on retrouve abondamment le bleu dans le ciel et dans la mer, mais très peu de manière terrestre, ce qui en fait également  une couleur artificielle. On la considère aussi comme une couleur noble : la fabrication de pigments bleus a toujours été difficile depuis les débuts de son utilisation dans l'art et l'artisanat, ce qui en faisait un matériau cher et peu utilisé. Par exemple, en Occident, c'est la couleur de la robe de la Vierge Marie, seul motif jugé digne de porter le pigment onéreux. Tout comme la Vierge, le bleu symbolise le lien entre le terrestre : les pigments bleus proviennent en majorité de pierres ou de réactions chimiques, et le spirituel : le ciel, la mer, lieux de méditation et d'infini. Néanmoins, le bleu a également sa contrepartie négative. On pense tout simplement au bleu que l'on se fait en se cognant, qui est douloureux. On pense à la couleur des veines, de la nuit et des ombres, dont les noms sont teintés de mélancolie. Cette interprétation, d'origine anglophone, a donné lieu au genre musical du "blues", et à l'expression "blue devils" qui signifie "idées noires", "spleen" comme dirait Baudelaire.

            La couleur bleue va ainsi venir percuter tout au long du film la représentation d’une réalité triviale que nous dépeint Kechiche, notamment à travers une surabondance de gros plans enchainés en champs-contrechamps. Cette volonté d’introduire la poétique dans la représentation du quotidien banal d’une lycéenne lilloise est particulièrement criante lors d’un des cours auxquels assiste Adèle. Un des élèves de sa classe étudie un passage décrivant la pesanteur comme un « vice intrinsèque à l’eau ». Il explique par la suite que la pesanteur serait un vice, c’est-à-dire, qu’en suivant une conception judéo-chrétienne idéaliste, tout ce qui nous rattache à la terre, au trivial est inférieur. Le corps est un carcan insurmontable, empêche l’élévation spirituelle totale et est source de vices. Néanmoins, la présence de l’élément aquatique dans cette citation souligne bien le paradoxe au sein-même du film : malgré cette trivialité, l’eau, élément bleu et sorte de continuité entre le ciel et la mer, va relier cette représentation de la banalité au poétique qui s’en dégage.

            Comme mentionné précédemment, la Vie d’Adèle est marqué par une volonté de monstration du réel dans tous ses moindres détails. La trivialité est imposée au public pour qui le spectacle n’est pas toujours agréable. Cette introduction de la trivialité se fait à travers le milieu dans lequel évolue notre jeune héroïne. En effet, celle-ci provient d’un milieu plutôt populaire. Nous la suivons dès le début du film dans une rue bordée de maisons en briques rouges typiques du Nord. Elle remonte son pantalon, et notre regard est attiré sur son postérieur. Elle rate son bus, arrive au lycée toute ébouriffée et retrouve ses amies. Commence alors le dialecte des jeunes à base de langage familier, d’insultes et de pression sociale vis-à-vis du sexe, symbole de passage à l’âge adulte et de témérité pour ces lycéens. Le repas en famille, qu’Adèle soit seule, au retour d’une journée de cours ou accompagnée d’Emma, son amante étudiante en quatrième année aux Beaux-Arts, un peu plus tard dans le film, est placé sous le signe du concret, de la solidité et de la tradition des valeurs familiales. Le père sert son traditionnel plat de spaghettis bolognaises, plat respecté pour son goût et plutôt nourrissant. C’est la mère qui s’occupe du service en bonne ménagère traditionnelle, et tout le monde est bien forcé de manger ses pâtes sans les couper, s’étalant de la sauce sur les babines et émettant de bruits de succion, soulignés à la fois par les gros plans et par le montage sonore. Le diner se fait parfois devant « Question pour un Champion », comme nous le devinons grâce à la voix de Julien Lepers en hors champ. La réalité sociale de la classe moyenne est ainsi soulignée : l’accent du Nord est marqué, le vin tâche la bouche de la mère, le père s’inquiète pour Emma, qui devrait selon lui trouver « un vrai métier » ou selon la mère, un mari qui assumerait les charges financières que son activité de peintre ne pourrait selon elle, pas assurer.

            L’accent sur une abondance de détails et de sons organiques est poursuivi tout le long du film et en particulier lors des scènes de sexes. Celles-ci sont certes simulées mais offertes voire imposées aux yeux des spectateurs. Malgré les lumières plus ou moins tamisées, et que ce soit lorsqu’Adèle couche avec son premier prétendant ou avec Emma, les corps sont montrés à l’apogée de l’état de désir. Les mouvements sont brusques, saccadés, non chorégraphiés comme nous en informe Kechiche dans une interview pour Allociné. Le public ne peut s’échapper de sa potentielle gêne car il doit faire face frontalement pendant dix minutes à ce qui lui est d’habitude offert de manière voilée ou sublimée. Ici, pas de bande son pour masquer les cris rauques des deux femmes ou les claques sur les fesses ; pas de pot de fleurs ou de gros plan sur une bouilloire en ébullition  comme ellipse à l’acte sexuel. « L’origine du monde » nous est imposée de la manière la plus radicale, et notamment au début du chapitre deux, lorsque la caméra capte en plan d’ensemble Adèle en train de poser pour Emma, allongée nue et les jambes écartées sur un divan, éclairée par une lumière blanche violente, presque chirurgicale. La captation du triviale s’opère également à travers un jeu sur les échelles à l’intérieur des plans, notamment lorsque la fête d’anniversaire d’Adèle est captée de l’extérieur. Le son est distancié de l’image, ce qui réduit la portée transcendantale habituelle d’une scène de fête. De plus celle-ci est finalement reléguée dans le coin gauche du plan d’ensemble de fin, ce qui souligne son insignifiance.


            Néanmoins, cet accent sur la trivialité du réel est juxtaposée à l’irruption du poétique et du transcendantal symbolisé par le bleu. Par exemple, la scène précédent cette scène de fête banale, est une longue nuit d’amour entre Emma et Adèle marquée par le désir débordant qui les unit. On peut voir la présence du bleu dans le film comme la marque du désir qui unit les deux jeunes femmes malgré leur antagonisme social. La seule personne physiquement marquée par le bleu est Emma. Elle symbolise en effet l’irruption de l’irréel  et du désir dans le quotidien d’Adèle. Cela est frappant lors de leur première rencontre, lorsqu’Adèle traverse la rue pour rejoindre le garçon de sa classe qui lui plaît. Adèle traverse et est soudainement fascinée par une jeune femme aux cheveux et aux yeux bleus. Le travelling horizontal gauche-droite ralentit et attrape les deux têtes qui s’ignorent d’abord en traversant le passage piéton puis se surprennent en se retournant discrètement. En quelques secondes, la direction que va prendre le film est donnée. Ces deux univers séparés symboliquement par une route  vont se confronter, s’aimer et se quitter. Dans cette scène, comme dans toutes les scènes du chapitre 1 où le désir est à son apogée, la couleur bleue est azur, indigo, frappante. Celle-ci évolue dans le chapitre 2, notamment dans la première scène de transition, lorsqu’Emma, quelques années plus tard, peint Adèle nue sur un divan. Nous sommes d’emblée frappés par la froideur du regard de l’artiste sur Adèle, et par l’absence de bleu dans la scène. Celui-ci a en effet disparu des cheveux d’Emma, l’ancienne étudiante aux Beaux-Arts devenue artiste accomplie. La couleur bleu est par la suite polarisée par les couvertures étoilées lors de la sieste des maternels, qui occupent la majeure partie du temps d’Adèle, devenue institutrice ; ou encore se retrouve dans les cheveux de l’héroïne lorsque celle-ci entre en harmonie avec la mer et le ciel, et surtout avec Emma par la pensée, après leur rupture. La fin de leur couple est conclue lors d’une violente scène de dispute conjugale, Emma ayant découvert l’infidélité d’Adèle. La scène est dépourvue de toute teinte bleue, et surtout à l’arrière-plan du premier plan de la scène, un tableau rouge sang est accroché, annonçant la rixe à venir. Par la suite, on retrouve le bleu par deux fois. La première, lorsque les deux anciennes partenaires se revoient dans un café et qu’Emma quitte le bar, encadrée par le cadre de la porte duquel émane une lumière de néon bleue, signifiant la circonscription de ce désir à la seule Emma, la fin du couple. Enfin, le bleu réapparait de manière forte sur la robe d’Adèle, lorsqu’elle visite l’exposition d’Emma. Ce bleu fluo vient trahir l’espoir que met Adèle dans cette nouvelle rencontre, le désir de se remettre avec Emma. Son espoir échoue, mais le désir, élan vital comme dirait Spinoza, reste malgré tout de son côté : lorsqu’elle repart seule, vêtue de sa robe bleu dans la rue, c’est une porte ouverte vers l’infini qui s’ouvre, par opposition à Emma, dont la vie est figée dans un mariage, un enfant et l’apogée de sa carrière d’artiste. 


La Vie d'Adèle - Abdellatif Kechiche (2013) [SPOIL !]

       


                   Hola amigos ! « The Bitch is back » in black ? (bon allez stop le délire)

               The bitch is surtout back de l’avant-première lilloise de La Vie d’Adèle, chapitre 1&2, réalisé par Abdellatif Kechiche. Ça faisait des mois qu’on l’attendait, le battage médiatique était à son comble, renforcé par la polémique cannoise sur les méthodes de tournage de Kechiche, la législation du mariage gay qui correspondait par hasard à la projection en salle du film. En quelques mots, l’audience était bien prête à voir le film depuis deux mois, (date de l’avant-première parisienne, et oui les parisiens sont toujours les premiers) (ceci était une phrase suicide si prononcée dans le NPDC) voire un peu lassée du blabla ambiant. Film également très attendu de la communauté LGBT, comme un soulagement de se voir enfin représentée au cœur d’un film.




               Nous entrons dans le cinéma. Comme pressenti, le public est en grande majorité lesbien, mais quelques couples hétéros, ou « individus lambdas » s’aventurent dans ce mystérieux terrain saphique qu’est la salle n°1. En même temps, je soupçonne un peu *** (pas de name-dropping sorry) d’avoir axé sa promotion sur le côté alternatif, lesbien, du film pour le présenter plus démocratiquement. Mais c’est du Kechiche, pas un film grand public. (je précise ceci, non pas par pédanterie, mais pour ceux qui veulent voir ce film pour son côté divertissant. Certes il l’est en partie, mais si on le résume à son histoire, cela diminue son intérêt)

              On entre dans la salle. Salle bondée. Deux places, c’est bon. Je cale mes fesses sur le siège molletonné, une bière entre les jambes cachée sous mon gros manteau de pervers des rues. L’attente est un peu longue, puis Adèle Exarchopoulos fait son entrée par le public, suivi des autres jeunes acteurs et figurants du film, puis de la productrice exécutive du film, Laurence Clerc. Les questions du présentateur sont, comme dans tout ***, des questions à la noix, du style « qu’avez-vous aimé à Lille ? », « qu’est-ce que ça fait de recevoir une Palme d’Or à Cannes ? » et… ah nan en fait pas de "et", ça s’arrête là. :p Nous passons au film.

              Le scénario du film se base sur la BD de Julie Maroh, Le Bleu est une couleur chaude et raconte  ceci : « À 15 ans, Adèle ne se pose pas de question : une fille, ça sort avec des garçons. Sa vie bascule le jour où elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, qui lui fait découvrir le désir et lui permettra de s’affirmer en tant que femme et adulte. Face au regard des autres Adèle grandit, se cherche, se perd, se trouve... »




Ma critique du film :



            Je vais commencer par le point qui m’a un peu gênée qui est la longueur de certains dialogues et de certains plans, qui pourraient être écourtés, voire supprimés pour faire gagner le film en intensité. Pourquoi pas en construisant le film en corollaire autour des trois scènes de sexe intense centrales par exemple.
              Et, maintenant, le positif, organisé par thèmes.



-          Le thème du bleu est subtilement omniprésent.


            Comme je l’avais évoqué dans un article précédent, le bleu présente deux significations antagonistes. A la fois palette du rêve, du spirituel, du poétique, il s’assombrit de plus en plus au fil du film pour nous montrer la mélancolie, la douleur, les bleus à l’âme qui s’emparent d’Adèle. Dans la dernière scène du film, lorsqu’elle voit pour une dernière fois celle qu’elle a aimée passionnellement, Adèle (« Justice », en arabe) est saisie d’un dernier élan d’espoir (/désespoir), se pomponne, et revêt une robe bleu azur, comme pour un premier rendez-vous. On ne sait d’ailleurs pas au début ce qu’elle espère en se pomponnant : est-ce un renouveau, une nouvelle personne qu’elle va rencontrer ? C’est ce bleu d’espoir qui clôture le film, malgré sa fin « triste ».






-          La trivialité du quotidien acceptée telle qu’elle est


Un autre point fort de LVDA est l’acceptation de la trivialité quotidienne. Celle-ci est introduite par un jeu sur les gros plans tout au long du film : à la fois hommage de la beauté des actrices et révélateurs de détails triviaux. On entre dans le film sur un plan d’ensemble montrant Adèle qui sort de chez elle, une barrière blanche à la peinture craquelée entourée de murets de brique rouge. C’est une nouvelle journée de cours qui commence dans son petit quartier du sud lillois. Nous la suivons, elle loupe son bus, elle remonte son pantalon, prend le train, arrive en cours. Les vannes lycéennes et autres dialogues à base de « wal’a » fusent. Banalités filmées en traveling horizontal, à hauteur d’homme, pas de transcendance possible dans ce quotidien que nous connaissons tous. Adèle pleure, elle morve et parle avec la bouche toute poisseuse ; Adèle mange, elle rote, en a plein la bouche ; Adèle dort, et une contre-plongée nous donne accès aux abymes de ses narines. Le personnage nous fait rire, nous nous sentons peut-être plus élégants qu’elle, mais au fond la sympathie nait : c’est nous qui sommes à l’écran.



-          Une satire sociale légère mais présente : l’opposition de deux univers.


Un autre aspect du film que j’ai apprécié a été la confrontation des deux univers opposés, d’une classe populaire et d’une classe plus aisée mais pas bourgeoise. D’un monde à hauteur de réalité et d’un monde qui veut briller. Cette irruption de l’irréel apparait lorsqu’Adèle traverse la rue pour rejoindre le garçon de sa classe qui lui plaît. (Pour les lillois, vous reconnaîtrez la statue du colonel Faidherbe en arrière-plan dans cette scène !) Adèle traverse et est soudainement fascinée par une jeune femme aux cheveux et yeux bleus. Le travelling horizontal gauche-droite ralentit et attrape les deux têtes qui s’ignorent d’abord puis se surprennent en se retournant discrètement. En quelques secondes, la direction que va prendre le film est donnée. Ces deux univers séparés par une route vont se confronter, s’aimer et se quitter.




            Emma est étudiante en 4ème année aux Beaux-Arts de Paris, cultive sa différence, assume son homosexualité, sort dans des bars gays, se teint les cheveux en bleus, lit Sartre, se cultive. Adèle est en Première dans un lycée de quartier populaire, est sensible à la magie des mots, des sentiments, mais ne rêve « que » de devenir institutrice. Adèle rêve de faire ce qui lui plait tandis qu’Emma veut briller. 

             Cette différence est soulignée de manière accrue dans la construction en parallèle des deux scènes de présentation aux parents. La première, les parents d’Emma. Blason de la famille moderne recomposée, tolérante, jeune. Emma présente officiellement sa "copine" (les guillemets n'indiquent pas un doute sur cet état, mais soulignent la terminologie employée). La joyeuse compagnie mange des huîtres arrosées de vin blanc. Néanmoins, le masque de tolérance tombe lors de l’inévitable question de l’orientation : Adèle ne veut pas viser « plus haut » que le métier d’institutrice, « tu ne veux pas faire quelque chose qui te corresponde plus ? ».
           Vient ensuite la famille plus populaire d’Adèle : le plat est simple, les éternelles spaghettis bolognaises du père sont au rendez-vous. Emma est officiellement une « aide pour les devoirs de philosophie d’Adèle ». Sa vocation d’artiste n’est pas prise au sérieux et les parents lui tracent déjà un avenir de femme entretenue par son mari.
                Ainsi, ce fossé culturel va séparer progressivement les deux jeunes femmes, Emma ne tolérant plus le manque d’ambition d’Adèle. Le Désir est ce qui les réunit, ce qui les transcende et les rassemble à la fois, aussi lorsque celui-ci s’éteint tout s’effondre.

                  Ainsi, Kechiche nous offre une forme de satire sociale légère, plutôt en faveur de la classe populaire de laquelle il vient lui-même. Se rencontrent à la fois bestialité (dans l’image, attention je n’émets pas un jugement personnel !) des plus pauvres et superficialité des bobos, comme en représentation picturale perpétuelle.




-          La représentation des lesbiennes est fidèle, voire crue mais authentique, donc réussie.


             Alors là sur ce dernier point je ne peux cacher mon soulagement et ma satisfaction d’avoir enfin pu voir sur grand écran une scène de sexe lesbien qui ne relève pas du porno lesbien. (Sous-entendu pour hétéros) Ce dont l’écran cinématographie -et pas que- avait bien besoin. D'une part, les pornos lesbiens se résument à des clichés surjoués et à des détails impossibles : gémissement omniprésents même pour enlever ses chaussures (quel plaisir, il est vrai !), postures lascives face à la caméra mettant en avant les organes des performeuses, ongles de 50 cm de long pour doigter sa partenaire, et j'en passe. D'une autre part, dans une grande majorité des films où une lesbienne apparaît  celle-ci est chargée d’un rôle mineur, et/ou sa sexualité est utilisée pour montrer la supériorité du schéma hétérosexuel, qui est bien sûr plus durable, plus sûr, et pas contre nature.

            Après ces immondices, revenons à nos moutons. Voire à nos hérissons. Enfin bref. Les trois scènes de sexe centrales sont placées au cœur du film comme l’apogée du désir des deux jeunes femmes. L’union est pulsionnelle et passionnelle, n’a pas de limites. Les cris sont rauques, les positions esthétiques mais crues voire triviales, les gestes sont imprécis, brusques, bestiaux, comme non chorégraphiés. La scène peut être gênante car particulièrement longue mais permet de répondre à la sempiternelle question des hétéros purs bœuf : « mais qu’est-ce que les lesbiennes font donc au lit ?? ».  Le silence est total dans la salle. Comme face à toute scène primitive au sens premier du terme, l’audience est partagée entre un rire dédramatisant et une gêne muette, voire pour quelques couples plus âgés une envie irrépressible de sortir de la salle. 



Abdellatif Kechiche (source : Allociné) 

"Nous avons donc tourné ces scènes comme des tableaux, des sculptures. On a passé beaucoup de temps à les éclairer pour qu’elles soient vraiment belles, après, la chorégraphie de la gestuelle amoureuse se fait toute seule, avec le naturel de la vie. Il fallait les rendre belles visuellement donc, mais tout en gardant la dimension charnelle. (...) On a beaucoup discuté, mais les discussions finalement ne servaient à rien (...) parce que tout ce qu’on dit est très intellectualisé, mais la réalité est plus intuitive."

Adèle Exarchopoulos (source : Nouvel Obs)

"Elles ne sont absolument pas chorégraphiées puisque tout, chez Abdel, s’ancre dans le réel. Léa Seydoux et moi nous mettions simplement dans les positions qu’adoptent deux femmes qui couchent ensemble et nous laissions aller. Une chorégraphie rassure peut-être, mais elle ne change rien au fait que faire l’amour passe par des sensations tactiles. Il faut caresser le corps de votre partenaire, lui empoigner les seins, descendre jusqu’à son sexe, l’embrasser. Je ne prétendrais pas qu’au début, nous n’étions pas mal à l’aise et que nous n’avions pas le fou-rire. Mais le fait qu’Adèle découvre ce plaisir-là avec une fille m’a beaucoup aidée. C’était aussi mon cas, j’avais donc le droit de me montrer maladroite ou de me sentir déstabilisée. Et puis Léa Seydoux est une partenaire très généreuse et une belle personne. Je la sentais mon alliée. Notre foi l’une en l’autre a nourri ‘’la Vie d’Adèle’’ et fait évoluer nos personnages. Elle nous a mûries. Elle nous a grandies."


            En dehors du sexe, l’univers lesbien est plutôt bien dépeint, un peu cliché, mais des clichés plutôt véridiques. La drague dans le bar lesbien, le style vestimentaire alternatif, les coupes courtes et déstructurées, les tatouages et piercings, l’évolution en bandes, les mimiques à la limite du jeu d’acteur en matière de séduction. (clins d’œil, regards de braise, petits mouvements de la tête)






Pour conclure, je vous conseille donc vivement d'aller visionner ce film au cinéma, qui mérite ses récompenses, tant pour le jeu des actrices qui effleure l'absence même de jeu mimétique, que pour le regard frontal de Kechiche sur la trivialité des choses quotidiennes, regard teinté de poésie à travers l'omniprésence d'une palette bleutée symbolisant le désir, qui seul, parvient à relier les deux jeunes femmes appartenant à deux classes sociales antagonistes.